The Giver

The Giver
2014
Phillip Noyce

Phénomène encore tout récent, les romans pour adolescents se sont multipliés au cours des deux dernières décennies, et The Giver, premier volet de la quadrilogie de Loïs Lowry sorti en 1993, fut l’un des précurseurs du genre, qui a visiblement assez largement inspiré la plupart des univers dystopiques qui pullulent au cinéma, et plus particulièrement Divergente et Equilibrium, heureusement suffisamment démarqués et excellents pour ne pas être appelés « plagiats ». Livre préféré de Jeff Bridges, ce dernier aura bataillé pendant près de 20 ans pour le voir débarquer sur nos écrans, et il y a de quoi lui dire merci.

Dans un futur où la société a conduit l’humanité à sa perte, une société utopique fut créée sur les cendres de notre passé. Une petite bulle au dessus des nuages, préservée des aléas climatiques, de toutes formes de disparités, et des perturbations matériels ou physiques. Ainsi, la population qui y est confinée vit en autarcie, libérée de toutes contraintes émotionnelles. Les gens sont conditionnés, leurs rôles définis, une injection quotidienne les préserve du tumulte des émotions, et toute trace du passé est dissimulée, leur permettant de jouir d’une paix simulée sans se poser la moindre question. Mais de temps à autre, un esprit plus éveillé que les autres se montre plus réceptif au monde qui l’entoure, et il est choisit pour être le receveur, gardien des souvenirs du monde antérieur et des sentiments enfouis qui y sont liés. Choisit pour être ce nouveau receveur, Jonas (Brenton Thwaites) va donc être formé par le passeur (Jeff Bridges) et devenir le dépositaire de la mémoire.

Dans un décor trop beau pour être vrai, avec des gens trop parfait, on sent d’emblée qu’il y a anguille sous roche. Les gens sont tous beaux, sveltes, avec le même uniforme, les mêmes coupes de cheveux à peu près (longs pour les filles, courts pour les garçon, avec des différences minimes) et ils vivent tous dans des maisons similaires. Les cycles de vie étant contrôlés (à neuf ans la remise d’un vélo, à 18 l’orientation professionnelle au sein de la communauté, à 45-50 « l’élargissement vers le lointain ») la personnalité n’a donc que peu de place, et chaque personne mène un standard de vie. Une utopie égalitaire qui cache bien des choses, évidentes de par la logique implacable de l’univers. Les révélations ne servent néanmoins jamais en tant que rebondissements, elles nourrissent simplement la phase d’apprentissage émotionnel et historique, créant ainsi une narration plus personnelle et percutante. Une histoire aussi fascinante que son univers, portée par des personnages vraiment excellents (avec à la clef de grands acteurs : Meryl Streep, Alexander Skarsgard et Katie Holmes), notamment le passeur, mentor génial et charismatique, le héros, loin des figures classiques du genre, et aussi son émouvante petite sœur Lilly (Emma Tremblay), dont on regrette la trop faible présence, même si chacun de ses passages sont psychologiquement magnifiques.

D’un point de vu technique le film en impose aussi beaucoup. Chose très intéressante pour rassurer d’emblée le spectateur sur les choix artistiques du film, on nous montre un soupçon de couleur, comme pour nous faire comprendre que malgré son apparence en noir et blanc, la couleur envahira le film à mesure que les sentiments referont surface. Un procédé non sans rappeler le brillant Pleasantville, mais il est expliqué par l’histoire et c’est avec le même engouement qu’on l’accueillera ici. Le résultat à l’image est vraiment bluffant tant l’absence de couleurs n’est pas toujours flagrant, le monde étant façonné pour coller à cette dualité (on a plus une impression de sous(exposition). Il est aussi intéressant de voir en fonction des personnes leurs visions du monde extérieur, plus ou moins atténuées par leur absence de sentiments. La réalisation très esthétisée rend le tout très impressionnant, et c’est presque choquant de savoir que le film n’a coûté que 25 M$ tant il tient la comparaison avec les productions similaires dotées de budgets trois à cinq fois plus massif. Dommage que les résultats furent décevants en dehors des Etats-Unis, déjà pas flamboyant (portant péniblement le total à 67 M$), et il est peu probable que les suites voient le jour, d’autant plus regrettable que si l’histoire est déjà en soit un bel arc, il reste tant de mystères à élucider, de choses à montrer, à découvrir. Qu’est vraiment « l’ailleurs » ? Y a t-il d’autres villes de ce genre ? L’ancienne civilisation a t-elle vraiment disparu ? Bien sûr, le film apporte des pistes de réflexion sur tous ces points, mais le voir permettrait de mieux y croire. On peut aussi l’appréhender comme la télépathie des souvenirs : un simple outil de narration servant à des fins artistiques.

Car oui, si le film possède une logique indiscutable, il faut aussi savoir faire acte de fois. Peut-on vraiment faire disparaître les sentiments et tous ses stimulus, incluant la couleur, par simple injection ? De même, est-ce réellement perspicace ? Après tout, bien des films en noir et blanc ont provoqué un afflux émotionnel bien supérieur à certains autres en couleur. Mais voilà, c’est une donnée de départ à prendre telle quelle, sans trop chercher à rationaliser et analyser, et ainsi on pourra apprécier toute la force du film, qui use de quelques stratagèmes déjà vus et pas forcément scientifiquement parfaits, mais une fois le postulat de départ accepté on ne peut que s’incliner face à tant de maîtrise et de talent. Une histoire magnifique, bourrée d’idées géniales, de personnages fabuleux, d’instants de grâce et d’intense poésie. On a déjà vu œuvre plus complexe, et la fin cache difficilement son ouverture, mais il serait criminel de passer à côté tant le film est un tour de force d’une rare qualité.

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