Kaamelott
2005 – 2009
Alexandre Astier
Si je vous dis série française, on pense surtout à une avalanche d’étrons abrutissants à la qualité bien morne, car mise à part peut-être Caméra Café, pratiquement aucune série française n’a su se distinguer dans la durée, au point que même ceux qui ne l’ont pas découverte à l’époque en ont entendu parlé et ont su l’apprécier. Assurément l’une des rares à avoir marqué dans la durée et au-delà de sa génération, la série Kaamelott a réussi là où pratiquement tous ont échoué : racoler avec de la comédie format court pour au final devenir plus qu’un simple divertissement en allongeant son format et en assombrissant son propos. Un renouvellement salvateur qui a énormément contribué à la légende de la série, désormais au panthéon du genre.
Période un peu floue et donc l’existence même du mythe est incertaine, la série reprend la fable du roi Arthur, la table ronde et la quête du Graal qui aurait potentiellement prit part au début du Moyen-Âge vers la seconde moitié du V° siècle. Homme orchestre officiant à quasiment tous les étages, allant de l’écriture, la réalisation à la composition, Alexandre Astier y campe aussi le fameux roi Arthur, leader charismatique à la tête du royaume de Logres, qui devra mener à bien la quête du Graal, vase magique qui a recueilli le sang du Christ, tache que lui ont confié les dieux, et ce malgré l’équipe de bras cassés qui l’entoure. Série parodique et humoristique, l’œuvre détourne la légende pour nous proposer une multitude de sketchs de trois-quatre minutes où le roi doit faire face à l’incompétence ahurissante de chacun. On retrouvera dans les personnages hauts en couleurs : Léodagan (Lionnel Astier), beau-père du roi obsédé par la défense militaire et qui n’a de cesse que de décrier la politique de tapette du roi ; sa femme Séli (Joëlle Sevilla), vile conspiratrice et castratrice ; leur fille, la reine Guenièvre (Anne Girouard), aussi belle qu’intelligente, #ironie ; son frère Yvain (Simon Astier), aussi faible de corps que d’esprit, comme son collègue Gauvain (Aurélien Portehaut), fils du roi Loth (François Rollin), passé maître dans l’art de la traîtrise ; Lancelot (Thomas Cousseau), bras droit du roi et seul homme intègre tenant la route ; au contraire des deux chevaliers les moins preux, Perceval (Franck Pitiot) et Karadoc (Jean-Christophe Hembert), plus présents à la taverne du village que sur le front ou sur les routes à chercher le Graal ; Dame Mevanwi (Caroline Ferrus), la femme de Karadoc qui gagnera peu à peu en importance ; Bohort (Nicolas Gabion), un autre chevalier de la table ronde particulière couard et efféminé ; Merlin (Jacques Chambon), soit-disant grand enchanteur, mais lui aussi tout aussi incapable que la plupart des proches du roi ; la Dame du Lac (Audrey Fleurot), fée censée guider le roi mais à l’utilité douteuse ; ou encore le désabusé Père Blaise (Jean-Robert Lombard), brodant tant bien que mal autour des contre-performances de l’équipe. Côté invités de marque, on notera les présences remarquées (puisque sur un grand nombre d’épisodes) de Antoine De Caunes, chevalier benêt suivant aveuglément celui qui parlera le plus fort ; Alain Chabat, duc d’Aquitaine tout aussi naïf et limité ; Elie Semoun, évangéliste extrémiste ; Christian Clavier, érudit consultant amateur de grosse morue ; ou encore la regrettée Valérie Benguigui qui campe à de multiples reprises une voyante. Voilà pour ce qui est du casting principal, du moins pour les cinq premières saisons.
Une troupe extrêmement fournie qui donne le tournis, mais c’est une des forces de la série. Avec autant de personnages au caractère si prononcé, cela fait autant de petites histoires à développer ou de ressorts comiques à poncer, sans compter certains personnages moins présents mais qui en auront marqué plus d’un comme le duo de fermiers, l’impayable Venec, ou le plus attardé de tous, Kadoc. La richesse du matériau permet une diversité de situations incroyable, et de ce fait malgré le manque de fond des deux-trois premières saisons, on ne s’ennui pas une fois. Le format sketch n’a pas le temps de nous lasser, riant tantôt des âneries des uns, tantôt des bourdes des autres. Le contexte de l’époque et la magie entourant la fable permet toute sorte d’excentricités, les décors ont de la gueule, les costumes aussi, et plus encore les acteurs se révèlent dans l’ensemble tous très bons. Mais ce qui a fait à ce point la renommée de la série à ses débuts, c’est surtout le talent de la plume d’Alexandre Astier, nous régalant de dialogues savoureux et de comique de situation finement travaillés. On pense notamment à la corde dans les bois, nous montrant tour à tour la situation vu selon le point de vue de tous les personnages. Un petit bijoux d’écriture.
Ainsi, durant les quatre première saisons, on passera d’une réunion calamiteuse de la table ronde à la déperdition en pleine taverne en passant par la débandade des champs de bataille, le tout dans un esprit parodique où le monde entier semble composé de cons ayant semble-t-il décidé de tout faire pour emmerder le roi. Entre les fermiers qui veulent tout cramer, les chevaliers abrutis et une quête du Graal qui piétine, on passe un excellent moment, et on ne saurait assez dire merci à l’équipe qui nous a tant régalé. Mieux encore, pour éviter de se complaire dans un même format durant trop longtemps, avant de prendre un virage en terme de durée et de montage avec le cinquième livre, à partir du livre III mais surtout le IV, le ton a progressivement évolué pour nous conter des histoires plus sérieuses et dramatiques, tout en restant en grande majorité de la pure comédie. Bref, une formule qui marche du feu de dieu, nous régalant pendant quatre belles années, mais pour raconter une vraie histoire une évolution était inévitable.
Livre I à IV :
Période délicate pour les fans de Kaamelott, le Livre V n’a pas été du goût de tout le monde entre ceux qui voulaient se complaire dans la pure comédie, déçus du tournant, et les autres dont je fais parti, saluant la prise de risque pour un résultat si prodigieux. Il faut dire que la série a été diffusée sous deux formats pour cette saison : huit épisodes d’une cinquantaine de minutes, et cinquante épisodes de sept minutes. Si le format court sied particulièrement bien à la comédie, il perd tout intérêt, voir nuit carrément quand le style est purement dramatique. Or le tournant est ici total. L’heure n’est plus à l’amusement : le roi, fatigué d’être constamment remit en question, a replanté l’épée Excalibur dans son rocher originel et ne compte pas la reprendre, abandonnant le trône alors que son fidèle Lancelot est porté disparu après sa rébellion avortée. Le royaume se déchire de toute part, des clans autonomes prennent place, actant la dissolution de la table ronde pendant que Arthur, aux portes du désespoir, cherche une raison à sa vie, partant en quête de sa descendance. Les thématiques sont fortes, les acteurs bouleversants, mention spéciale au charismatique Méléagant (Carlo Brandt), de même que Guy Bedos qui trouve là probablement le meilleur rôle de sa vie, du moins celui où il convainc le plus. On voit ainsi le monde partir en vrille, comme fasciné par les flammes consumant tout sur leur passage. La tension monte crescendo avec l’arrivée de Méléagant, nous mettant une boule à la gorge qui éclatera de façon violente avec une fin de saison d’une rare justesse émotionnelle, balayant tout sur son passage. Simple série humoristique, Kaamelott venait pour moi d’entrer dans la légende.
Si déjà le Livre V a divisé, le livre VI a été un divorce pour certains, mais là encore je salue un effort supplémentaire, tant en terme de moyens techniques que de volonté artistique. Cette nouvelle salve de neuf moyens-métrages d’une cinquantaine de minutes nous replonge cette fois dans la jeunesse d’Arthur, plus précisément à la fin de ses classes dans la milice romaine. Un ambitieux tournage dans les décors d’époque, reconstitués dans la cité du cinéma de Rome, marquant une nouvelle fois le domaine du divertissement télévisuel français par les moyens mis en œuvre. La plongée dans la mythique cité antique vaut le détour, nous faisant au passage découvrir de nouveaux visages parmi lesquels se distinguent Lucius Sillius Sallustius (Patrick Chesnais), le bienfaiteur d’Arturus (nom romain d’Arthur) qui cherche en réalité à s’attribuer tout le pouvoir ; Manius Macrinius (Tchéky Karyo), général romain las d’une décennie passée sur le front breton ; Manilius (Emmanuel Meirieu) et Verinus (Manu Payet), les deux meilleurs amis de l’époque d’Arturus ; Caius (Bruno Salomone), l’homme qui demande aux connards de faire griller un porcelet, avec politesse ; ou encore César (Pierre Mondy), vieil homme las qui a perdu sa flamme d’antan. Ces quelques nouveaux sont très charismatiques et la plongée dans Rome est une franche réussite avec des gains de galons inspirants, mais le bilan n’est pas pleinement satisfaisant.
En effet, on restera dans l’ensemble un peu sur sa faim. Arrivé à la seconde moitié, nombre de personnages seront laissés pour compte, ne leur offrant pas un développement satisfaisant, et concernant le passé en Bretagne, on restera mitigé entre l’efficacité du fan-service et son absence d’intérêt. De même, nombre de personnages secondaires romains sont ennuyeux, à l’image du chef de la milice vite saoulant, mais surtout de la bande d’érudits en toges dont le running-gag est aussi raté qu’usant. Même la réalisation connaît pas mal de ratés, certains mouvements étant parfois trop brusques, voir saccadés. Alors oui, les décors ont de la gueule et quelques histoires méritaient effectivement qu’on les raconte, mais dans l’ensemble ça reste assez dispensable tant on voulait surtout voir la suite des événements, d’autant qu’au final onze ans vont séparer la sortie du premier film de la fin de la série télévisuelle. Si la qualité d’écriture est toujours là et que la musique est sublime, le nouveau casting n’est pas toujours à la hauteur, et après un cinquième livre si abouti, on en attendait forcément plus. En espérant que les films se fassent bien et que cette histoire connaisse la fin qu’elle mérite, en attendant la série reste un monument de la télévision française, modèle comique à ses débuts, œuvre magistrale par la suite.
Livre VI :
Elle est où la poulette ? Elle est bien cachée ?