La Forme de l’eau

La Forme de l’eau
2018
Guillermo del Toro

Alors que dimanche prochain se tiendra la prochaine cérémonie des Oscars, l’un de ses plus sérieux candidats, détenant le record de nominations (13 catégories), vient enfin de débarquer en France, l’occasion de vérifier si tout le tapage fait autour du film est justifié. Grand réalisateur qui s’est fait connaître pour les bestiaires sans précédent de ses films, allant à contre-courant des CGI modernes pour proposer des créatures de « cher et d’os » (trucages en maquillage, pas numérique) plus vraies que nature, Guillermo del Toro n’avait jusqu’à présent que peu était reconnu pour son travail. Un tord largement réparé ses dernières semaines entre un Golden Globes et un BAFTA du meilleur réalisateur pour ce film, et l’Oscar lui tend les bras. Jusqu’à présent n’ayant que le magnifique mais atroce Labyrinthe de Pan à son actif comme film original en dehors du décevant Crimson Peak, le reste étant des blockbusters plus ou moins réussis où il n’a pu qu’y insuffler son imaginaire et subissant des scénarios peu glorieux, il s’agissait donc d’une épreuve capitale pour son réalisateur. Est-ce enfin son premier grand chef-d’œuvre ? Malheureusement non.

Orpheline muette qui travaille comme simple femme de ménage dans l’agence spatiale américaine en pleine Guerre Froide au début des années 60, Elisa Esposito (Sally Hawkins) va faire une rencontre qui va changer sa vie. Une créature humanoïde marine va être ramenée dans l’agence où elle travaille pour y être étudiée en vue d’envoyer le premier homme dans l’espace de par la résistance que la bête semble avoir développé. Alors que le directeur en charge des opérations (Michael Shannon) ne le vois que comme un monstre qu’il faut mater, Elisa va se rendre compte de son intelligence et va essayer de communiquer avec lui. Entre deux coups de serpillière, elle va en cachette rendre visite à cette énigmatique chose, développant une certaine amitié avec lui.

Quand on est un réalisateur si atypique qui nous enchante habituellement avec des univers oniriques à l’inspiration incroyable, passer à un film classique qui se vendait pourtant comme une référence en matière de monstre, c’est plutôt décevant. Mes attentes étaient peut-être bien trop grandes pour ce film, mais il n’en reste pas moins que le film a des défauts, et pas qu’un peu. Son histoire est à la fois trop classique et maladroite, racontant une histoire d’amour à la Belle et la Bête souffrant des mêmes facilités d’écritures où comme par hasard tout le monde va mal réagir face à la peur de l’inconnu, créant ainsi des rebondissements attendus et prévisibles. De même, la romance sera extrêmement maladroite dans la mesure où l’évolution est brutale, passant directement de la rencontre à l’amour fou. Du coup de foudre téléphoné certes moins invraisemblable que dans le film de Disney puisque Elisa n’aura jamais peur de la créature, mais face à une telle situation on devrait avoir un minimum d’appréhension de l’autre au préalable. L’autre grand problème de cette romance est aussi purement physique : si Sally Hawkins nous révèle une plastique étonnamment avantageuse, le design du monstre n’est pas exactement le pendant masculin du fantasme ambulant que sont les Asaris, race extraterrestre de Mass Effect. Le film semble d’ailleurs pas mal s’inspirer du jeu puisque si la chose a des airs de la Créature du Lac Noir, elle ressemble surtout à la race des Drell découverte dans le second opus des aventures du commandant Shepard. Le design reste donc de haute facture, mais pas très novateur.

En dehors de cette romance, les thèmes abordés ne sont pas plus intéressants ou originaux, se contentant d’être « utiles ». On retrouve ainsi un gentil russe (Michael Stuhlbarg) pour montrer certaines dérives de Guerre Froide, un adorable voisin (Richard Jenkins) rejeté par la société à cause de son homosexualité, ou encore la copine afro-américaine (Octavia Spencer) pour représenter la minorité ethnique brimée. Du pur consensuel pas forcément dérangeant puisque les acteurs sont excellents et leurs rôles bien écrits, mais on a l’impression que ces stéréotypes sont plus là par « devoir civique » que par volonté artistique. De même, si les efforts pour tout faire le plus possible en dur sont louables, que ce soit les décors ou le monstre, la réalisation n’est pas non plus incroyable. Pas de travelling virevoltant ni de jeu de lumière sublime, juste quelques idées de mise-en-scène et d’ambiance de colorimétrie. La musique est sans doute le point le plus convaincant du film, mélangeant une agréable douceur et une amère mélancolie. Le film n’est en soi pas raté puisque nombre de talents y resplendissent et l’histoire reste sympathique, mais trouver un bon film là où on attendait une œuvre majeure constitue une sacrée déception.

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