Okja

Okja
2017
Bong Joon-Ho

En France nous avons un système qui s’appelle « chronologie des médias ». En gros c’est une loi sur le cinéma qui stipule qu’un film doit sortir en salle, puis il a le droit de sortir quatre mois plus tard en support physique et dématérialisé, puis neuf mois après sur canal, douze mois après sur les potentielles chaînes partenaires et enfin après 22 mois sur les autres chaîne en fonction de qui achètera les droits de diffusion en premier (enfin à peu près, j’ai pas appris le règlement par cœur). Largement applaudi à Cannes, le film intriguait tout le monde et le succès en salles allait être total vu comment Bong Joon-Ho est devenu un phénomène au cours de ces dernières années, mais la politique de Netflix a quelque peu refroidi les diffuseurs. Bah oui, un film disponible sur le service de vidéo à la demande en même temps que la sortie en salles, ça avait de quoi inquiéter quant au remplissage desdites salles, et en plus cela allait à l’encontre d’un paquet de lois dont celles françaises sur la chronologie des médias. Mais d’un autre côté, étant tout seul dans son coin à avoir financer les 50 M$ du film, Netflix ne voulait pas ramasser les miettes de son propre film un an après l’exploitation en salle selon les législations de certains pays, donc voilà comment l’un des films les plus attendus de l’année s’est retrouvé quasi mondialement privé de sortie en salles. Mais sinon, le film il vaut quoi ?

Dans le monde, des millions de personnes souffrent de malnutrition voir de sous alimentation sévère, et c’est dans cette optique que Lucy Mirando (Tilda Swinton), gérante d’un empire industriel, va développer une nouvelle race dérivée du porc, le super cochon, une nouvelle espèce viable et auto-reproductible qui coûterait moins cher et fournirait plus de viande, offrant ainsi au consommateur une offre plus importante à un tarif imbattable. Après dix ans de phase de test consistant en une démonstration d’élevage aux quatre coins du globe, il était grand temps pour la société d’inaugurer en grande pompe leur nouveau produit, exhibant sur la scène publique leur plus beau spécimen : Okja, une femelle recueillie par une coréenne de douze ans.  Seulement la jeune fille ne va pas tellement apprécier qu’on lui enlève sa meilleure amie et va tout faire pour la récupérer.

Quand on fait un gros monstre en image de synthèse, le plus dur est de justifier sa présence. Dès les premières minutes, le film excelle à la tache : on nous pose d’emblée une raison logique à son existence, et toutes les premières scènes dans les montagnes coréennes bluffent de par la maîtrise des effets spéciaux, venant à nous faire douter de la non existence de l’animal. Les interactions avec l’environnement sont irréprochables et d’une complexité colossale, réussissant on ne sait comment à recréer l’ondulation de l’eau déformée par son passage, la pliure des herbes sous ses pattes, le déplacement de certains objets et même le contact physique avec d’autres personnes, défi le plus ardu dans l’animation. De bout en bout le film s’acharne à réaliser des prouesses techniques pour rendre la présence d’Okja incontestable, et c’est une réussite absolue. Quid du reste ?

En dehors d’un visuel parfait, le film nous narre aussi une histoire belle et touchante, celle d’une amitié profonde entre une petite fille déterminée et un animal au grand cœur. Les rebondissements sont largement moins classiques que dans les autres films du genre même si globalement le développement reste conventionnel, mais c’est surtout dans le ton que le film tente le plus de choses. Très réaliste et se voulant anticapitaliste, comme bien des films du réalisateur, le film alterne habilement entre humour parfois gras et noirceur perturbante. On se demande même parfois comment réagir face à des braqueurs lançant des pétales de fleurs, mais se retrouver déstabilisé est toujours une bonne chose tant cela prouve que le film n’a rien de commun. Se voulant très ouvert au marché international, le film n’hésite pas à faire appel à de grands noms, mais surtout beaucoup d’acteurs anglophones : Jake Gyllenhaal, Paul Dano, Lily Collins, Devon Bostick ou encore Giancarlo Esposito. On apprécie aussi le fait que chaque choix de casting est justifié par l’histoire, barrant la route à toute polémique de white-washing. Un film particulièrement maîtrisé donc, qui viendrait presque nous faire pleurer à la fin même tant la créature a effectivement prit vie devant nous, et pas que. Beau, intelligent et touchant.

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